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Minitel

Le 30 juin, le service télétel cessera d’émettre après près de trente ans de services gratuits ou payants. Voilà le minitel, fleuron de la technologie française, équipement culte des années 1980, réduit à la décoration vintage. Sur certaines versions, le clavier n’était pas en "azerty" mais par ordre alphabétique. Accusé à la fin des années 1990 d’avoir retardé l’essor de l’internet en France, le minitel a été réhabilité sur ses vieux jours.

Il fut d’abord une formidable machine à cash, grâce notamment aux fameuses messageries roses. À son apogée, le minitel rapporta jusqu’à 1,5 milliard d’euros. Aujourd’hui, France Telecom en tire à peine 200 000 euros. Il a aussi permis l’émergence de services en ligne, de la vente à l’échange de données, sans oublier les rencontres. Ceux qui exploitaient les services minitel ont su se reconvertir dans le web, à l’image de Xavier Niel, patron de Free ou Claude Perdriel.

Comme le Concorde, le paquebot "France" et peut-être demain le réacteur EPR, ce fleuron de la technologie française ne s’est jamais exporté. Il incarne une époque et une certaine nostalgie.

Benjamin Thierry, enseignant, historien, nous présente le minitel sous la facette technologique. "Le minitel a été une chance pour la France, car c’était une réussite industrielle et commerciale.

C’était un tour de force scientifique et technique : l’annuaire électronique était la plus grande base de données de son temps ! Le réseau était extrêmement complexe et fonctionnait très bien. Cela a stimulé nos constructeurs nationaux dans l’électronique".

Certes, ajoute Benjamin Thierry, le minitel n’a pas été étranger dans le retard français de l’internet : "D’un point de vue d’offre de services, il a induit un retard car lorsqu’il a fallu envisager le passage à internet dans la deuxième moitié des années 90, des services très rentables sur le minitel ont renâclé à plonger dans le grand bain. Le modèle économique était différent et ne permettait pas la rétribution. Cela a donc été un frein à l’offre".

Sur le plan des usages, cependant, c’est différent et on pourrait plutôt parler d’avance française. "On a coutume de dire qu’internet est une grande révolution", dit Benjamin Thierry. "Ce n’est pas le cas pour les Français : on a été dans la continuité des usages mis en place dans le cadre de la télématique. Le minitel a été une école de l’interactivité des services en ligne".

L’historien n’avait pas du tout prévu la nostalgie qui entoure le minitel. "J’avais compris que c’était un objet important dans la culture des années 80 et 90, mais je n’avais pas prévu le retour en grâce au moment de l’extinction du réseau. Cela repose sur une logique du rétro, mais aussi sur la nostalgie d’une époque où l’industrie française était très compétitive. C’est également un phénomène culturel : il a eu une empreinte déterminante sur son époque. C’est un objet qui s’est inscrit dans l’air du temps".

Journal "L'Alsace" - 21 juin 2012

 

Bernard Marti : "Une très belle aventure humaine"

Bernard Marti, l’inventeur du minitel, observe de sa retraite la nostalgie autour de l’objet qu’il a inventé, mais surtout l’époque qu’il symbolise aujourd’hui.

La nostalgie autour de la disparition programmée du minitel surprend Bernard Marti. Lui-même devrait figurer parmi les plus nostalgiques puisqu’il est l’un des créateurs du minitel. Pourtant, il ne l’est pas. "Pour moi, c’est une histoire terminée depuis longtemps", sourit-il. Dans les années 70, ce polytechnicien parisien débarque à Rennes. C’est là que naît la petite boîte marron et beige. "C’était l’époque où la France avait rattrapé son retard dans les télécommunications et l’État cherchait dans les laboratoires de recherche des innovations à développer pour conserver les emplois". La télécopie, et donc le minitel, change la vie des gens dans les années 80.

"Professionnellement, cela a été une très belle aventure humaine. Nous étions 80. Certains venaient des PTT, d’autres de l’ORTF, comme moi. Nous avions des statuts différents, souvent des salaires différents, et nous avons tous été passionnés de la même façon. Nous étions comme une petite famille avec une grande liberté de travail et, surtout, les moyens de travailler".

Plusieurs années sont nécessaires pour mener à bien la création du minitel. "Aujourd’hui, à France Telecom, ils ont des objectifs à six mois. Cela n’a plus rien à voir", soupire Bernard Marti. Ce dernier a créé le minitel, mais n’a pas fait fortune. "On ne travaillait pas pour l’argent mais avec enthousiasme. J’ai eu une prime de brevet pour le minitel et pour Canal + dont on a fabriqué le premier système d’encodage. C’était de l’ordre de 2 000 francs".

S’il n’a pas de nostalgie particulière vis-à-vis du minitel, il en a sur l’époque : "J’ai un attachement sentimental à cette époque et aux gens. Ce n’est pas l’objet minitel que je regrette, mais un mode de vie". L’ancien ingénieur analyse d’ailleurs la nostalgie qui s’exprime dans le pays à l’occasion de la fin du minitel comme étant liée à un temps révolu. "Il ne faut pas oublier que ce projet était développé par les PTT ! Je pense que les gens regrettent cette période où la puissance publique jouait son rôle industriel et était efficace. Il y a un retour vers le made in France et le minitel est un symbole".

Retraité en Bretagne ("J’ai eu beaucoup de sollicitations pour revenir travailler ici, mais je suis devenu Breton d’adoption"), Bernard Marti jardine et s’occupe de l’Armorhistel, une association d’histoire des télécommunications en Bretagne. Il leur a donné tous ses minitels. "Il m’en reste un dans son carton d’origine, mais je leur ai promis de leur donner aussi". La nostalgie n’est plus ce qu’elle était.

 

Repères

1977 : rapport sur l’information de la société par Simon Nora et Alain Minc, qui aboutit à la décision de lancer une connexion de terminaux grand public.

1978-1985 : travaux de mise au point à Rennes d’un annuaire électronique.

1980 : à Saint-Malo, 55 minitels sont mis à l’essai chez des particuliers.

1982 : les PTT lancent le 3611, nouvel annuaire électronique.

1983 : Claude Perdriel, propriétaire du "Nouvel Observateur", lance 3615 Ulla et Aline, premiers minitels roses.

1984 : lancement du 3613 (messagerie gratuite), du 3614 (communication payée par l’usager) et du 3615 qui rémunère le fournisseur de service. Le quotidien "Les Dernières Nouvelles d’Alsace" lance le service de messagerie Gretel.

1985 : le million de minitels en France est atteint.

1988 : lancement d’une politique d’exportation avec des modèles en japonais et des minitels exportés en catimini au Canada et aux USA. Seule la Côte d’Ivoire passe des commandes.

1988-1994 : ce sont les années les plus florissantes : un milliard de chiffre d’affaires par an.

9 millions. Le nombre de terminaux lors de l’apogée du minitel, en 2002.

Il en reste 811 000 aujourd’hui, toujours connectés.

Le nombre de minitels gardés en souvenir est difficile à évaluer.

3615 Ulla : le service le plus consulté après l’annuaire électronique.

Les collectionneurs pourront garder leur minitel sans pénalité, les autres le remettre dans une agence France Telecom en vue de recyclage.

 

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Rédaction : Philippe Delanoue